La nouvelle loi sur la santé au travail

Si vous êtes une entreprise ou un indépendant, peut-être que cette loi est passée sans que vous la voyiez, en plus, en pleines vacances…

Mais elle est importante. En très résumé : il y a des avancées utiles, et d’autres qu’on aurait voulues mais qui n’y sont pas (notamment sur l’aspect vraiment prévention).

Elle entrera en vigueur le 31/03/2022.

Voici les principaux points et décryptage de mon point de vue.

Le Document Unique (d’Evaluation des Risques Professionnels)

Il va devoir être conservé 40 ans et déposé sur un portail numérique sécurisé (à partir de juillet 2023 pour les entreprise de 150 salariés et plus, l’année suivante pour les autres), transmis au service de santé au travail à chaque mise à jour.

Pour les 50 salariés et plus, il s’assortit d’un programme annuel de prévention des risques et amélioration des conditions de travail, avec mesures, indicateurs, coûts, calendrier.

Enfin, c’était un peu le but déjà du DU d’aboutir à des actions de prévention !

Le CSE doit également être consulté lors de sa réalisation; c’est déjà une approche vers plus de construction paritaire dans l’entreprise, mais c’est juste « consultatif ».

Des Services de PRÉVENTION et Santé au Travail (SPST)

Le mot prévention est rajouté dans le nom des Services de Santé au Travail (que vous appelez sans doute encore « la médecine du travail »)… cela peut ajouter de la lisibilité, d’autant que la prévention est réaffirmée dans l’obligation pour les services d’avoir une offre « socle » qui contient bien du conseil sur l’amélioration des conditions de travail. Mais, depuis l’introduction des préventeurs en 2004, c’était déjà le cas…

Ce qui change par contre plus, c’est la notion de cotiser pour cette offre socle, qui peut changer l’approche qu’avaient encore parfois les entreprises de cotiser « pour les visites ».

Et… la notion d’un agrément pour 5 ans et une certification qualité (qualité qui sera suivie par le CROCT – Comité Régional d’Orientation des Conditions de Travail) sur l’offre socle de services, et son fonctionnement.

Mais bon la qualité … on le voit avec Qualiopi pour la formation professionnelle, cela ne certifie qu’un processus et son respect, pas du tout la qualité de la formation elle-même dans le contenu. On peut en faire une vraie démarche de qualité, comme juste un processus administratif à remplir.

Tout dépend donc comment cela va être réalisé mais en tout cas cela va donner beaucoup de travail aux services.

Et quand je dis ça… connaissant parfois le peu de considération que certains ont pour les services publics ou assimilés… n’imaginez pas qu’ils se tournent les pouces d’habitude, et que là, ça va les occuper : on sait que c’est un contexte déjà tendu avec trop peu de médecins du travail, peu d’IPRP* en proportion par rapport au nombre d’entreprises, c’est donc que là, cela veut dire plus de travail administratif donc ce temps-là ne sera pas passé en prévention. Certes, la certification ce n’est pas inutile, mais, cela reste du travail en plus. 

*IPRP : Intervenants en Prévention des Risques Professionnels : préventeurs HSE, ergonomes, psychologues, chimistes …

Une extension du suivi de santé au travail aux non-salariés

Voilà pour moi une vraie nouveauté : le suivi de santé au travail (par les SPST, donc) est élargi aux :

  • travailleurs indépendants
  • chefs d’entreprise
  • salariés du particulier employeur.

Ce n’est pas dommage, je n’ai jamais compris pourquoi dans une entreprise, seuls les salariés seraient suivis, et concernés par les actions de prévention, et pas les gérants, qui travaillent aussi !

Quant aux indépendants, de la même façon, ils étaient totalement absents des radars. J’avais voulu, pour un atelier Femmes de Bretagne, faire des statistiques sur l’état de la santé au travail des indépendants qui étaient mon public, et il n’y avait rien, absolument rien ! Peut-être entre cette évolution et le regroupement du RSI avec le régime général, en aurons-nous enfin.

Je trouve incroyable que les indépendants soient aussi absents des actions de prévention. Vous êtes indépendant et en plein risques pscyho-sociaux (débordé, surmené) ? Vous avez un accident de travail ? En situation de handicap ? Il n’y avait jusque là aucun institutionnel qui pouvait s’occuper de vous : soit vous restiez tout seul avec votre problème, sans aide d’aucune sorte (financière, méthodologique, etc), soit vous pouviez faire appel à des services extérieurs (et encore peu existants), mais forcément payants, sans aide. Il ne vous reste que l’offre de soins des particuliers, pas connectée au travail.

Cela dit, tout dépend comment cela va se passer : cela reste une offre de service sur volontariat des services de santé au travail, et de même, les indépendants peuvent y adhérer, sans obligation. Je crains donc pour la première partie, que les services soient peu nombreux à créer cette offre (ayant déjà trop peu de monde pour leur périmètre à gérer), et pour la seconde, que ne voyant pas bien l’intérêt, les indépendants adhèrent peu. Moi en tout cas je vais essayer !!

Maintenant, les services ont la possibilité de recourir à des médecins de ville (eux non plus, pas assez nombreux…) pour assurer le service, mais, cela reste une solution incomplète car, à moins qu’ils n’aillent également en entreprise, il me paraît difficile qu’ils aient autant la vision « travail ». La santé au travail, ce n’est pas suivre la santé ordinaire des gens qui travaillent; c’est connaître les risques spécifiques pour la santé liés au travail, les liens avec l’organisation, le contexte des entreprises, pour être capable d’orienter vers des actions de prévention. En santé au travail, la prévention ne se fait pas par l’individu (alors qu’il n’y a pas beaucoup d’autre levier en santé publique), mais par l’entreprise et l’organisation qui créent les conditions favorables, défavorables, à la santé et sécurité.

Un renforcement des actions de maintien dans l’emploi

Sous le terme sans doute pas très parlant pour vous, peut-être, de « désinsertion professionnelle », il s’agit très concrètement de voir ce qu’on peut faire pour éviter que votre voisin maçon ne finisse avec les genoux et le dos en vrac à 50 ans.

Du côté prévention, vraiment (comment on fait pour qu’il ne soit pas en vrac), il n’y a pas grand chose de neuf, par contre au moins du côté maintien dans l’emploi, en lui-même (comment on fait, une fois qu’il est en vrac, pour lui trouver une adaptation ou un autre job),  il y a de vraies avancées :

  • la création de cellules de prévention de la désinsertion professionnelle dans les SPST (autant s’habituer tout de suite à les appeler comme ça), ce qui peut avoir le mérite de remettre le lien entre maintien dans l’emploi et prévention (ce que je faisais et ce qui se faisait dans divers services déjà, même si statutairement nous n’étions pas censés le faire – comme quoi, il faut aussi laisser de la place à l’innovation en dehors du prescrit !).

Trop souvent l’offre « ergonomique » des études pour le maintien dans l’emploi, gérée par les services du monde du handicap, restait trop peu sollicitée; et le regard maintien dans l’emploi pouvait rester bien trop individuel pour permettre d’identifier les causes organisationnelles qui étaient très souvent là (rappelons que 3/4 des inaptitudes, à l’époque où j’étais en service de santé au travail en tout cas, étaient liées aux Troubles Musculo-Squelettiques)

  • l’extension de la convention de rééducation professionnelle en entreprise, pas seulement aux travailleurs en situation de handicap et inaptes, mais aussi à ceux pas encore inaptes, simplement repérés par le médecin du travail. Je ne connais pas ce dispositif, qui n’existait sans doute pas dans les années 2010,  ou pas déployé dans ma région, mais c’est certainement un progrès de pouvoir s’y prendre plus tôt pour qu’un salarié puisse reprendre progressivement une activité dans l’entreprise.

 

  • dans la même idée, la création d’un rendez-vous de liaison entre l’entreprise, le salarié et le SPST, pouvant se faire même pendant l’arrêt : il va falloir le faire connaître, tout comme la visite de pré-reprise, mais c’est un dispositif très intéressant pour enfin s’y prendre plus tôt quand les salariés sont arrêtés longtemps. Trop souvent, le médecin du travail constatait de grosses difficultés de reprise du travail après… des mois voire années d’arrêt ! Faute de tout simplement savoir que le salarié est arrêté.
  • Enfin cette loi crée plus de lien entre les médecins du travail et les autres médecins, autour des soins du salarié et de la surveillance des expositions.

Avec accord du salarié, ses médecins de ville pourront accéder à son Dossier Médical de Santé au Travail, et son médecin du travail pourra accéder à son Dossier Médical Partagé. Enfin un peu plus de coordination possible… au moins sur le soin. Avec, potentiellement, une meilleure prise en compte des questions du travail en supprimant cette barrière … (j’espère).

Parallèlement, le médecin du travail pourra mettre en place en suivi post-exposition ou même post-professionnel lorsqu’il a connaissance d’une exposition d’un salarié à des agents chimiques dangereux, en lien avec la médecine de ville et le médecin conseil de la sécurité sociale (vous ne le savez peut-être pas, mais les médecins conseils connaissent peu les médecins du travail…).

  • Il y a aussi la création d’une visite spécifique de mi-carrière et à 45 ans, pour mieux détecter les risques de désinsertion professionnelle. Je ne sais pas trop quoi en penser, j’imagine que cela peut-être bien, dans la lignée des visites de pré-reprise, pour mieux anticiper, d’un autre côté, le médecin du travail voit déjà les salariés et je pense qu’il sait bien lesquels sont à risque, déjà (le risque n’étant pas individuel, pour me répéter, mais lié à l’exposition professionnelle pendant des années et en fonction des conditions données dans l’entreprise). J’aimerais l’avis des médecins du travail sur toutes ces mesures ! Je n’en ai plus dans mon réseau proche actuel.

Et la prévention ?

C’est là où le bât blesse… il n’y pas grand chose, en fait, hormis ce qui devient plus affiché dans les SPST.  Et, ah oui, le « passeport prévention » ! C’est-à-dire : lister les actions de formation sur la santé sécurité au travail (donc, super, répertorier que les gens ont bien été formés aux gestes et postures…).

La prévention ne se fait pas dans le service, même s’il aide grandement l’entreprise : elle se fait dans l’entreprise, au coeur de la production.

J’en parlais déjà dans cet article au moment où sortaient les préambules de cette réforme. Il ne reste de la part de prévention que doit faire l’entreprise qu’un grand trou noir, hormis le DU qui évolue un peu.

Rien sur la formation des dirigeants, des managers… rien sur une réflexion construite avec les acteurs économiques… rien sur l’intégration des questions de travail lorsqu’on crée son entreprise, qu’on la développe, etc.. rien en fait sur les déterminants réels sur lesquels on pourrait agir à grande échelle pour améliorer la prévention. Parce que la prévention se crée dans le travail, dans la réflexion lorsqu’on crée des situations de travail… C’est vraiment dommage. Mais bon, je suis philosophe, prenons ce qui est bon à prendre et continuons…

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