La crise du coronavirus nous impacte tous fortement. Une reprise progressive de l’activité se profile, avec la perspective du déconfinement. Mais déconfiner ne signifie pas juste reprendre « comme avant ». Une grande question se pose alors : comment organiser le travail, concrètement sur le terrain, en fonction des nouvelles mesures à respecter ?
Mais aussi, y a-t’il des risques liés aux nouvelles organisations qui vont se mettre en place ?
L’impact actuel du covid-19 sur les entreprises en chiffres
Une forte chute du chiffre d’affaires pour la majorité des entreprises
Une grande majorité d’entreprises ont vu une chute énorme de leur chiffre d’affaires depuis la mi-mars : 58% des entreprises de proximité ont perdu plus de 70% de CA selon une étude de l’Union des Entreprises de Proximité réalisée auprès de 6000 entreprises.
Même constat localement : l’enquête du CEPR réalisée sur 89 entreprises locales indique que 85% d’entre elles ont vu leur chiffre d’affaires baisser.
Mon réseau ami Bouge ta boîte a également réalisé une enquête à laquelle 500 entrepreneures ont répondu : 40% d’entre elles indiquent une perte de plus de 70% de CA.
L’impact de la crise du coronavirus sur le travail : un constat variable selon les statuts et secteurs d’activité
Le travail des salariés
3 grands cas de figure pour les salariés :
- être au chômage partiel : cas d’environ 60% des entreprises de proximité, à peu près identique pour le CEPR avec 2/3 des entreprises du Pays de Rance interrogées, dont pour 1/3 d’entre elles il concerne >80% de leurs salariés.
- être en télétravail : c’est le cas dans environ 15% des entreprises de proximité et 2/3 des entreprises du Pays de Rance.
- travailler « comme à l’habitude » : dans environ 30% des entreprises de proximité.
PS : j’ai bien noté que les pourcentages du graphique de l’U2P font plus de 100%. Je suppose que les réponses ne sont pas exclusives et que l’on peut à la fois avoir mis en place du télétravail, du chômage partiel, ou d’autres solutions 😉
Le travail des entrepreneurs
Pour les entrepreneurs, le constat est variable…
Du côté de l’U2P, 1 entrepreneur sur 2 a continué à travailler, et même pour 17% d’entre eux avec un temps de travail d’au moins 45h/semaine pour faire face à la situation, et jusqu’à 53h/semaine dans l’artisanat et le commerce alimentaire de proximité. En l’absence de données plus complètes, on ne connaît pas le temps de travail de ceux qui sont restés confinés.
Mais du côté des entrepreneures… constat fort différent.
2/3 des entrepreneures interrogées n’arrivent pas à maintenir une activité de plus de 4h/ jour, en lien avec les tâches du quotidien et l’éducation des enfants, qui sont encore majoritairement et massivement supportées par les femmes.
Certes, le travail des entrepreneures en soi n’est pas le sujet de l’article, mais, en faisant le bilan de l’impact économique du coronavirus, il a toute son importance. Et il pose également question dans la perspective du déconfinement.
L’impact du confinement sur l’organisation du travail
Globalement donc, la plupart des actifs sont confinés, certains, sans activité, d’autres, en télétravail. Les autres continuent à travailler, sur le terrain.
Ces 2 derniers cas posent déjà question maintenant, du point de vue du travail:
- Pour les personnes en télétravail : comment est animé un collectif de travail en télétravail ? comment est régulée la charge de travail (pour rester équitable) ? comment concilier travail et vie personnelle ?
- Pour les personnes travaillant sur le terrain : comment travailler en respectant réellement les gestes-barrière ? comment organiser le travail, les équipes, les locaux pour le permettre ?
Confinement et télétravail
En télétravail, on peut réaliser une partie de l’activité habituelle, pas toujours tout, mais surtout on n’a plus le contact de la même façon avec les collègues, le manager… surtout de façon improvisée très rapidement comme cela a été le cas. On n’a pas forcément toutes les informations sous la main, on ne peut pas juste aller dans le bureau voisin pour la trouver, ou échanger rapidement pour avoir un autre point de vue sur le problème sur lequel on coince.
Réguler la charge de travail peut être plus difficile que d’habitude, parce que le travail peut devenir encore plus invisible… derrière un dossier traité, quelle quantité de travail ? Faut-il attribuer le même nombre de dossiers à tout le monde ? Oui mais l’un a ses enfants avec lui, l’autre pas. Et les dossiers du client X prennent plus de temps que ceux de Y. Surtout en effectif réduit, si certaines activités ne sont pas à l’arrêt mais au contraire se complexifient (logistique ? aide sociale ?), surtout dans des métiers où l’engagement est fort .. chacun peut se retrouver livré à lui-même avec sa charge, sans forcément qu’il y ait d’échange facile ou possible sur cette question.
Gestes-barrière et travail de terrain
Autant dans le secteur du soin, on a l’habitude de gérer le risque de contamination, et on est formé à des protocoles d’hygiène précis, autant, en ce moment, tout le monde se trouve obligé d’improviser la mise en place des mesures barrières, chacun comme il le peut. Si l’on veut vraiment être efficace, et empêcher toute contamination… faut-il se transformer en bloc opératoire ?
Certaines entreprises, ne voyant pas comment concilier activité et mesures-barrière, ont arrêté leur activité (avec les critiques que l’on connaît). D’autres ont poursuivi, certaines en adaptant de leur mieux, d’autres peut-être avec moins de soin.
C’est que dès que l’on rentre dans le détail de l’activité.. ce n’est pas si simple ! Et il me paraît difficile que cela fonctionne sans impacter l’organisation du travail.
De nombreuses fiches conseil ont été réalisées par métiers par le Ministère du Travail.
C’est déjà une aide, qui donne des lignes directrices utiles.
Pour la distanciation sociale, par exemple, c’est au moins un paramètre assez clair. Cela dit, l’appliquer correctement en entreprise demande de se poser vraiment sur l’organisation pour y parvenir, car comme chacun sait, entre l’organisation prescrite, qui est ce qu’on avait prévu, et au final, la réalité du travail de terrain, il y a toujours un écart (cela fait plus de 50 ans que les ergonomes le disent, j’espère que ça commence à faire son chemin).
On peut prévoir que personne ne se croise dans la réserve, et approvisionner à des moments différents les différents rayons du supermarché, mais, la logistique étant bousculée, peut-être qu’il va manquer finalement des produits, et que certains employés vont s’y retrouver en même temps… le vrai défi c’est donc d’y arriver effectivement.
Voilà des questions, qui peuvent être déjà du ressort des ergonomes en général : nous aidons les entreprises sur les questions concrètes de travail, qui peut aller du très technique au très stratégique, toujours. Car ce n’est pas si simple de faire en sorte qu’une entreprise fonctionne bien et préserve le capital santé de ses collaborateurs, leur engagement… car tout passe par la question du travail, et il arrive qu’il ne fonctionne pas comme l’entreprise le pense, et que ce soit finalement compliqué de juste faire que « ça marche ».
Mais en plus, il y a encore toute une autre question, dont on n’a pas encore beaucoup parlé.
L’impact du contexte économique sur l’organisation du travail
Le confinement a un impact clair et tangible sur nos conditions de travail : notre environnement physique, les gestes barrière…
Mais derrière la question du temps de travail « explosé » des entrepreneurs de l’enquête de l’U2P, et le risque de surcharge de travail en télétravail… le déterminant, là, c’est le facteur économique. Pourquoi travailler autant ? Pour faire tourner l’entreprise… surtout si les effectifs sont réduits, qu’il faut trouver de nouvelles solutions, se réorganiser très vite…
Ce déterminant, c’est celui qu’on retrouve dans les risques sur lesquels travaillent beaucoup les ergonomes : risques psycho-sociaux, troubles musculo-squelettiques, accidents de travail… On y penserait pas, comme ça, au risque d’accident en lien avec le facteur économique ?
Risques professionnels et facteur économique
J’ai déjà parlé dans l’article sur l’intérêt de la simulation du travail de 2 situations que j’ai un peu détaillées, l’une sur les tours à commande numérique, l’autre sur un poste de production de pâtons. Ce dont je n’ai pas parlé dans cet article, c’est de l’aspect économique des risques de ces 2 situations.
Pour les tours, le problème initial était le fait d’usiner des grosses vannes en acier avec les portes entrouvertes (c’est un risque d’accident notable : coupure ou brûlure par projection de copeaux métalliques).
L’un des déterminants est économique : les opérateurs ont moyen de faire porte fermée, mais cela prendrait plusieurs heures de plus, pour des raisons techniques aussi liées au choix et à l’ancienneté des tours. Donc ils n’envisagent même pas de le faire. Ce n’est pas possible de tenir le planning de production comme cela, l’entreprise a fonctionné comme ça depuis des années… et ne pourrait pas se permettre de revenir en arrière d’un seul coup.
Il y a un 2e retour de la question économique d’ailleurs : le prix notable des pièces usinées qui sont uniques, et pour lesquelles ils ne veulent pas prendre le moindre risque de les abîmer… ce qui n’est pas possible en l’état actuel des outils et de l’organisation qu’ils ont.
Pour les pâtons, 2 risques à la fois sont liés, au final, à un déterminant économique. Le premier visible, c’est le risque de chute. Pardon, je suis désolée, vous n’avez pas la vidéo, et je ne peux pas vous la partager.
Dans la situation, vous avez un opérateur qui conditionne des plaques de pâte, qui lui arrivent sur un tapis, et il les place sur une échelle. Mais, les pâtes sont encombrantes, l’échelle a des plateaux qu’il doit mettre en place avant de placer chaque pâton, et plus il monte, plus c’est compliqué, et long. Assez rapidement, il prend du retard, les pâtons menacent de tomber au bout du tapis, au point qu’un collègue vient en courant pour attraper le pâton qui allait tomber.
Pourquoi l’opérateur court ? Pour que les pâtons ne tombent pas par terre. Pourquoi ils risquent de tomber ? Parce que le tapis, d’une part, est trop court pour avoir un peu plus de marge de manoeuvre, mais aussi, parce qu’il va vite. Pourquoi il va vite ? Parce qu’il y a une quantité à faire par jour, liée, à la fin, au temps qu’on peut consacrer à fabriquer selon le prix auquel est vendu le pâton.
Le 2e risque, c’est que, comme je vous ai dit, l’opérateur prend du retard. Sur une activité répétitive, sous contrainte de temps, et surtout sous contrainte de rythme de la machine. Voilà un super cocktail à troubles musculo-squelettiques, comme je l’expliquais déjà dans l’article.
Le lien entre ce facteur économique et les risques dont j’ai parlé, c’est ce que nous appelons l’intensification du travail.
Confinement et risques liés à l’impact économique
Si l’on revient à la question du confinement, on comprend bien que là, avec la perte économique majeure que nous vivons… la pression est au plus fort.
Donc le risque d’intensification est déjà fort dans certaines activités qui se sont perpétuées, et il risque de le devenir un peu partout au moment du déconfinement… tant chacun va tenter de rattraper son retard économique.
Prévoir et anticiper le déconfinement
Les 3 risques majeurs du déconfinement
1. Le risque de contamination
En premier lieu, il y a évidemment le nouveau risque de contamination par le COVID-19.
Comme on l’a vu, les gestes-barrière ne sont pas si faciles à mettre en place, dans l’organisation concrète. Avec une reprise de plus de circulations de personnes, le risque de circulation du virus va augmenter : il faut donc s’assurer que dans le travail réel, on puisse réellement être efficace pour empêcher la contamination.
Un exemple simple de la difficulté
2. Le risque d’intensification du travail
Le 2e risque, c’est de devoir mettre les bouchées doubles pour rattraper le chiffre d’affaires perdu. Il faut effectivement que les entreprises survivent (sinon, le travail, on n’en parle même plus !), mais, il ne faut pas que ce soit avec une aggravation des risques habituels du travail (TMS, RPS, accidents).
3. Le manque d’informations !
L’une des premières difficultés va être de trouver les bonnes informations sur comment s’équiper, s’organiser, mais aussi simplement où s’équiper en protections individuelles ! Problème auquel des associations et collectivités locales s’attaquent en ce moment.
3 pistes pour bien gérer le déconfinement
1. Partir de ce que nous avons appris pendant le confinement
Le confinement a certes un impact économique majeur, mais parallèlement, il a suscité beaucoup d’innovations, de changements rapides que nous n’aurions pas pensés possibles. Je suis assez d’accord avec la vision de Julia de Funès à ce sujet (cela dit, je ne partage pas son interprétation de la situation du métro comme étant synonyme de but commun : voyager dans la même direction n’est pas un but commun, c’est seulement de la coactivité, et effectivement, ça ne structure donc pas un collectif !).
Beaucoup d’entreprises ont réussi le tournant du confinement : voir par exemple localement les témoignages d’Effitech et Solvit’net.
Le coronavirus nous oblige à réinterroger notre modèle économique .. si une si petite chose bouleverse le monde entier, c’est que notre système n’est pas très solide, non ?
Et ce qui nous a permis de tenir.. a été la solidarité, la coopération, qui sont toujours à l’oeuvre. Bref, faut-il refaire encore plus comme avant, ou changer de modèle ?
En tout cas, à l’intérieur des entreprises, beaucoup de réorganisations rapides ont eu lieu. Une des premières pistes de travail est donc de tirer parti de ce qui s’est passé, en faire le retour d’expérience pour bien identifier ce qui a contribué à bien fonctionner, les ressources, y compris (et surtout ?) immatérielles de l’entreprise, et ce qui au contraire a été une contrainte, pour continuer à construire la suite.
2. Construire ensemble
Une des clés, habituellement, pour réussir une organisation, c’est de la construire ensemble. Dans le cas du coronavirus, peut-être encore plus que d’habitude.
Ensemble, dans l’entreprise : en sollicitant toutes les intelligences, on construit beaucoup mieux, et en mettant autour de la table ceux qui font le travail, on a plus facilement accès à leur réalité du travail pour construire une organisation solide (encore faut-il savoir animer les remontées du travail).
Et peut-être ensemble, entre entreprises ? Ou des multi-collaborations ? La réponse n’est peut-être pas qu’à l’intérieur d’une seule entité.
Quoi qu’il en soit, il ne vaut mieux pas essayer de régler tout, tout seul. Entourez-vous, prenez toutes les bonnes idées, échangez, confrontez… réunissez toutes les bonnes volontés et fédérez vos équipes, qui ne demandent probablement aussi que la survie de leur travail, et créez ensemble la meilleure version de votre entreprise.
3. Se projeter dans le travail futur
La 3e clé, c’est toujours de rester dans le concret et penser ensemble à quoi va ressembler le travail futur. Cela peut avoir là complexe (il est futur… comment on fait ?). Mais les techniques de simulation du travail sont très utiles pour cela.
On peut tout à fait se projeter dans le futur, du moment que l’on sait où on veut aller, et que l’on a des personnes qui connaissent réellement la façon dont se fait le travail; et, quelqu’un qui sait animer efficacement une simulation, évidemment, pour ne pas zapper de détails importants (ce n’est pas simple, je peux vous y aider).
Et au final, pour tenir ensemble les questions de survie économique, et de santé au travail, il y a sans doute de nouveaux modèles à inventer, peut-être réorienter l’activité, se renouveler… quoi de mieux que de construire cet avenir en le partageant avec vos équipes ? Vous serez sans doute surpris des capacités d’innovation qui existent dans un collectif porté par la dynamique de la parole sur le travail, quand on le sollicite adéquatement !